Dérogation espèces protégées : la CAA de Marseille se prononce sur l’échelle géographique à laquelle apprécier la condition d’absence de solution alternative

CAA Marseille, 31 mai 2024, no 23MA00806

Pour rappel, le préfet peut déroger à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées lorsque trois conditions sont cumulativement remplies (cf. art. L. 411-2 du code de l’environnement) :

  • l’absence de solution alternative satisfaisante,
  • l’absence de menace sur le maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle,
  • la justification de la dérogation par l’un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM)[1].

Dans cette affaire, la Cour a jugé que le préfet avait commis une erreur d’appréciation sur le 1er critère, en estimant qu’il n’existait pas d’autre solution satisfaisante, alors même que le choix du lieu d’implantation du projet reposait sur :

  • l’identification par la commune d’une zone de 75 hectares dont elle avait la maîtrise foncière et qui lui paraissait propice à l’implantation d’un projet photovoltaïque car i) elle permettait de n’amputer aucune zone agricole, ii) elle avait fait l’objet d’un incendie en 2004 et d’une tentative de reboisement qui n’avait pas été concluante, iii) elle se trouvait en discontinuité des parties bâties de la commune mais demeurait accessible, et iv) elle se situait en dehors de toute aire de protection réglementaire;
  • la vérification par la société porteuse du projet de l’opportunité de l’implantation par rapport à une carte des enjeux environnementaux établie à l’échelon départemental;
  • le choix, par cette société, de la variante la moins préjudiciable à l’environnement parmi trois emprises potentielles proposées par la commune.

La Cour a en effet pris en compte, pour retenir l’erreur d’appréciation du préfet, le fait que :

  • aucune solution alternative d’implantation du projet n’avait été recherchée au-delà du territoire de la commune, notamment à l’échelle du secteur « Haute Provence » du  schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR), qui englobe le territoire d’une dizaine d’intercommunalités et est désigné par ce schéma comme étant à perspective de développement significatif des parcs photovoltaïques au sol ;  
  • la zone identifiée par la commune, non artificialisée, nécessitait l’obtention d’une dérogation espèces protégées ;
  • plusieurs projets d’installation de parcs photovoltaïques étaient en cours à proximité immédiate, laissant penser que des alternatives existaient.

Cette solution nous semble particulièrement contestable, dans la mesure où :

  • l’article L. 411-2 du code de l’environnement n’impose nullement d’examiner la condition d’absence d’alternative à l’échelle supra-communale, a fortiori à  l’échelle de plusieurs intercommunalités ;
  • le S3REnR n’a ni pour objet, ni pour effet de déterminer les zones dans lesquelles les projets d’installations de production devraient s’implanter : il définit seulement les ouvrages de réseau à créer ou à renforcer pour permettre l’accueil des installations de production d’électricité en tenant compte des objectifs nationaux et régionaux de développement des énergies renouvelables et de la dynamique de développement observée dans la région[2] ;
  • en l’espèce, le porteur de projet avait effectué des vérifications à l’échelon départemental et fait le choix de la variante la moins impactante au sein de la zone proposée par la commune, elle-même retenue sur la base d’une pluralité de critères environnementaux pertinents. Un tel examen devrait pouvoir suffire au regard des exigences de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ;
  • l’examen des solutions alternatives ne saurait être entièrement décorrélé des contraintes de maîtrise foncière.

[1] Cf. art. L. 342-3 du code de l’énergie


[2] Depuis la loi APER du 10 mars 2023, cette dernière condition est présumée remplie pour les installations photovoltaïques dont la puissance installée dépasse 2,5MWc.

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